Il est des matins où poser le premier pied s'avère un exploit. Les rêves se prolongent et l'on se plaît à paresser et à hésiter entre programme de la journée et pensées liées à l'actualité du moment.
Panama!
Panama, son canal qui faisait enfin réalité une obsession séculaire, celle de réunir Atlantique et Pacifique.
Panama qui illustrera aussi à sa façon la grandeur et décadence des mouvements d'indépendance en participant au processus de fragmentation territoriale et de morcellement du pouvoir, aux antipodes de ce que souhaitait construire Bolivar dans son rêve de la Grand Colombie et des Etats-Unis d'Amérique du Sud.
Panama qui accueille aujourd'hui le Sommet des Amériques confirmant ainsi que 2015 sera un tournant pour le continent. Quelle insolence!
Le Sud avait clairement prévenu le Nord: inutile de se déplacer si Cuba était à nouveau mis au ban. Bon nombre de dirigeants s'apprêtaient à jouer le jeu de la chaise vide, comme ils le font depuis quelques années en boycottant les sommets ibéro-américains, histoire de faire rager la Mère Espagne. Le président Obama semble avoir parfaitement pris la mesure de la menace, lui qui lance en décembre 2014 son "Todos somos americanos.". Panama, dès lors, peut se préparer à la rencontre historique et à une poignée de main qui fera date et renverra très certainement à deux photos célèbres qui réunirent Begin et Sadat puis Arafat et Rabin. Et l'on se plaît à imaginer un Prix Nobel de la Paix pour Fidel et Raúl! Quelle insolence!
C'est que les deux frères peuvent être fiers de leur bilan et de leur capacité à continuer de tenir bien en mains les rênes et l'agenda politique d'une zone qui s'étend de l'Alaska à la Terre de Feu. N'oublions pas que ce tout petit pays de 11 millions de Cubains est devenu en l'espace d'un demi siècle la référence incontournable, le modèle ultime pour les uns, la nation à abattre pour les autres. Adoré ou détesté, Cuba est devenu un symbole, celui de la résistance à l'impérialisme yankee et tant pis si le sentiment anti-américain né bien avant la révolution de 1959 était au départ l'expression des secteurs les plus réactionnaires de la bourgeoisie et de l'aristocratie terrienne catholique dans les Caraïbes mais aussi au Mexique. De la Baie des Cochons au bras de fer entre le pouvoir castriste et les exilés traités de "gusanos", de la politique africaniste de Fidel à l'envoi de médecins cubains dans les coins les plus inhospitaliers du Venezuela pour quelques barils de pétrole, de l'accueil des négociateurs dans le dossier Etat colombien contre FARC au rôle prépondérant que Raúl souhaite jouer dans la résolution de la crise majeure à Caracas... le fidélisme et le castrisme semblent avoir encore de beaux jours devant eux, tout au moins jusqu’en 2018, date à laquelle semble devoir commencer la vraie transition à Cuba. Quelle insolence!
C'est justement parce que ce moment arrive à grands pas qu'il faut songer à quitter la scène sous les hourras. Songeons à Franco préparant dès les années soixante l'ouverture technocratique et le modèle de l'Etat qui est justement celui de l'Espagne aujourd'hui, songeons à Pinochet qui prépare sa retraite et verrouille l'espace judiciaire pour pouvoir savourer sa victoire personnelle, celle de mourir dans son lit sans jamais avoir connu la prison comme son camarade argentin Videla. Ce qui lie ces personnalités froides et cyniques est bien ce sens politique hors du commun qui leur aura permis de gouverner coûte que coûte en s'adaptant de façon permanente aux événements. Ce que nous devrons donc observer ces prochaines années, c'est cette capacité remarquable des Castro à transmettre le pouvoir sans jamais rien céder et en continuant à tirer les ficelles. Timides mais évidentes ouvertures économiques, négociations soit disant secrètes avec le Vatican, rapports cordiaux avec Santos, alors que la Colombie traditionnellement marquée à droite, a toujours été l'alliée de Washington, demande d'adhésion à des traités et marchés jusque-là boudés, la grande machine de la transition est lancée. Quelle insolence!
On se demandera bien évidemment si Obama a raison, si les cris de colère poussés par les dissidents ne sont pas politiquement (in)corrects et ce qui arrivera avec l'alternance aux Etat-Unis, si alternance il y a avec une Hillary très combative qui pointe justement le bout de son nez, elle qui connaît très bien le sud du Rio Grande et qui se plaît à croire en une victoire à la Bachelet, à la Kirchner ou à la Rousseff. On ne manquera pas pour autant de se dire qu'il était temps et que finalement ce scénario trouve tout son sens à l'échelle planétaire car quelle meilleure réponse à la présence des Chinois occupés à un second canal au Nicaragua ou à se placer dans les espaces laissés par les entreprises espagnoles reléguées et expropriées au nom de la revanche historique... des Chinois que les Latinos commencent à trouver envahissants et finalement bien moins amusants que les Yankees. Nous verrons aussi si les Amériques, terre d'Utopie millénaire, sont aussi en voie de se transformer en un espace sanctuarisé, bien loin de cette vieille Europe prête à basculer entre une Afrique dévorée par la pauvreté et les conflits ethniques et un Est saisi par le démon de l'intolérance. Quelle insolence!
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