L’Histoire
revient toujours tel un boomerang. Où l’on reparle de « franquisme
insconscient » : 256 rues au centre d’un imbroglio politico-médiatique…
Après les couacs
concernant le projet de remplacer sur la Plaza de la Villa Alvaro de Bazán
(marin, humaniste, joueur d’échecs, mécène, passionné de maniérisme et occasionnel
vainqueur des Turcs à Lépante !)
par Enrique Tierno Galván ; le retrait d’un monument à la gloire de
José Calvo Sotelo, le leader monarchiste dont l’assassinat le 13 juillet
servira à légitimer le Coup d’Etat du 17 et 18 juillet 1936 et achèvera de
convaincre le général Franco de se rallier au projet de Mola et de la plaque
hommage à des prêtres assassinés retirée plus réinstallée au cimetière de
Carabanchel, la municipalité conduite par l’ancienne juge Manuela Carmena, une républicaine
à la tête de la Plateforme « Ahora Madrid », a encore fait parler
d’elle.
Difficile en effet de
ne pas suivre le feuilleton autour des symboles franquistes et notamment des
noms de rues et places de Madrid (« el callejero ») et les
hésitations de Carmena qui avait pourtant bien promis d’appliquer la loi de
2007 en effaçant tous les hommages aux militaires et aux politiques compromis
dans le Coup d’État, la Guerre Civile et la dictature franquiste. Il fallait en
finir avec cette commémoration silencieuse mais quotidienne.
Le dernier épisode
est celui du rapport commandé par Carmena et élaboré très récemment par
l’historien de la Complutense Antonio Ortiz qui prétend travailler sur ce sujet
depuis 2004. Daté de février 2016, il a fait l’effet d’une bombe car Ortiz ne
se contente pas de lister militaires et politiques mais évoque aussi les
intellectuels, artistes et écrivains.
L’historien semble
d’ores et déjà lâché par ses pairs de la Chaire de Mémoire Historique qui
jugent maintenant que tout ceci est d'une stupidité sans nom
(« disparate ») et que l’entité n’a signé aucun contrat avec Carmena
(qui devait pourtant présenter les conclusions de la Complutense concernant le
Plan Integral de Memoria de Madrid (dont devait faire partie la liste des noms
de rues) le 22 février : La Chaire de Mémoire Historique du XXème siècle
vient d’ailleurs de déclarer que les conditions ne sont plus du tout réunies
pour conseiller une Municipalité incapable de comprendre que la recherche
nécessite avant tout temps et sérénité. Quant à l’Université elle-même, elle
semble mettre en suspens le futur de la Chaire qui ne dépend d’aucun
département et qui est censée remettre des rapports commandés par des
institutions et des administrations. Elle est encadrée par la Complutense,
l’Association de la Memoria Social y Democrática, la Fondation Francisco Largo
Caballero, la Fondation Primero de Mayo et CC OO.
El general que mandó asesinar a Lorca
On trouve dans cette
liste noire, des journalistes et artistes proches de José Antonio Primo de
Rivera, le fondateur de la Phalange, des Catalans comme Josep Pla qui déclarait
malgré tout dans les années 50 « La censura está insoportable. Tal vez sea
el momento de irse de aquí. Este país es asfixiante. » ou Eugenio d’Ors
dont les trois fils combattaient du côté franquiste et qui fut nommé
« jefe nacional de Bellas Artes » et membre de la Real Academia
Española.
Ai-je besoin
d’évoquer Salvador Dalí, reçu le 16 juin 1956 au Palais du Pardo, très lié à la
fille de Franco, Carmen ? On sait qu’il avait beaucoup souffert de
l’assassinat de son ami intime de la Resi, Federico García Lorca, abattu et
enterré dans une fosse commune en août 1936 mais ses sentiments étaient très
ambivalents car il lui avait reproché à plusieurs reprises d’être rouge et
pédéraste. Il était surtout très fasciné par la pompe et le faste : d’où
son attachement au catholicisme apostolique romain et à toutes les
manifestations de grandeur nationale (uniforme nazi, national catholicisme…).
La guerre civile et ses déclarations politiques l’éloigneront à tout jamais de
Luis Buñuel et du groupe surréaliste. Sans oublier les poètes : Gerardo
Diego de la Génération de 27 (Lorca, Alberti, Cernuda) ou Manuel Machado, le
frère de l’exilé Antonio.
Le cas de Manuel est
intéressant car il est l’occasion de rappeler que la guerre civile fut en
effet fratricide dans tous les sens du terme mais aussi parce qu’il fit partie
de la commission qui changea le nom des rues de Madrid… après la chute de la ville en 1939.
Mais la liste ne
s’arrête pas là et évoque Manolete, le grand matador cordouan mort dans les
arènes de Linares en 1947 et chanté par… Vanessa Paradis en 1987 !!! Et
puis Santiago Bernabeú, le footballeur aux 200 buts et le président du Real
entre 1943 et 1978, le stade de Chamartín inauguré en 1947 porte son nom depuis
1955.
Tout ceci est bien
embarrassant, des voix de toute part s’élèvent pour réclamer mesure et bon
sens. Manuela Carmena est désormais bien obligée de faire son petit pas en
arrière, titillée par sa copine du PP Cristina Cifuentes qui lui demande de
nettoyer les rues au lieu de les renommer. Esperanza Aguirre, avant de
démissionner, a qualifié la liste de « sans pieds ni tête »,
Ciudadanos a condamné tout esprit de revanche idéologique qui conduit à diviser
la société (en 2005, 73% des Espagnols déclaraient que hommages et réparations
devaient inclure les victimes des deux camps). Il s’agit maintenant que soit
élaboré un Plan de Memoria Histórica clair et consensuel, difficile quand on
sait que le PP freine des quatre fers et que la gauche est divisée sur la
méthode et les objectifs.
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