Premier long-métrage d’Alejandro González Iñárritu, né en 1963 à México DF, installé à Los Angeles quatre jours avant le 11 septembre (on le prenait pour un Turc et on le regardait de travers, lui qui avait choisi de quitter Mexico par peur des enlèvements et de trop de respectabilité!).
- Tout de suite un grand succès sur la scène internationale : Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes en 2000 et nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger en 2001. Le deuxième meilleur film latino-américain de la décennie pour un jury de 35 spécialistes. Dans un contexte très particulier au Mexique, une nouvelle ère politique avec la fin de l’hégémonie du PRI, ce Parti-Etat au pouvoir depuis 70 ans (anciens chefs de la révolution de 1910) et la victoire de la droite libérale du PAN et d’un ancien dirigeant de Coca-Cola au Mexique, Vicente Fox. Une nouvelle ère dans le domaine politique, une nouvelle ère pour le cinéma mexicain salué par toute la critique internationale. Même si Iñárritu déteste qu’on lui parle de cinéma mexicain, pour lui, il fait du cinéma tout court, point barre ! « Yo hago cine. »
- Début d’une carrière qui fait de lui un habitué des festivals et des prix les plus prestigieux, il participe aux Oscars à nouveau pour 21 grammes et Babel (primé à Cannes en 2006), on le retrouve à Berlin et Venise, il était encore sur la Croisette l’an dernier pour présenter son dernier film, Biutiful, qui vient de sortir et dans lequel vous retrouverez le mari de la Cruz, Javier Bardem qui obtiendra le Prix d’Interprétation Masculine.
- Début d’une trilogie qui illustre les thèmes du choc et de la collision, du hasard et de la fatalité et qui est à chaque fois bâtie sur trois histoires qui s’entrecroisent : vous comprendrez en voyant le film, vous établirez des liens si vous avez vu 21 grammes ou Babel. Une trilogie qui lui permettra de travailler à chaque fois avec le directeur de la photographie mexicain Rodrigo Prieto, le compositeur argentin Gustavo Santaolalla et bien sûr le scénariste Guillermo Arriaga.
- Il a un don pour choisir ses acteurs : des poids lourds comme Sean Penn, Naomi Watts et Benicio del Toro pour 21 grammes en 2003, Brad Pitt et Cate Blanchett pour Babel en 2005 ; dans Biutiful, un Bardem déjà consacré pour son rôle de malade condamné dans Mar Adentro (2004) d’un autre Alejandro, l’espagnol d'origine chilienne, Amenábar (dans une scène, El Chivo lit le journal et sur une page apparaît l’affiche de Tesis, film réalisé en 1996 par ce dernier avec lequel Iñárritu partage une même passion, la musique. le réalisateur mexicain a d’ailleurs été disc-jockey de la principale radio rock du Mexique WFM). Et là, un jeune inconnu, Gael García Bernal (Octavio), qui n’avait joué que dans des courts-métrages et des films pour la télé et qui va se trouver propulsé sur le devant de la scène avec une suite de carrière que vous connaissez : Y tu mamá también d’Alfonso Cuarón en 2001, mais surtout en 2004, il est à Cannes pour deux films : La Mala Educación de Pedro Almodóvar et Carnets de Voyage/ Diarios de motocicleta de Walter Salles. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des acteurs les plus émouvants et sexys.
- Il n’hésite pas à produire ses films, à l’image de ce que fait un autre réalisateur mexicain, Guillermo del Toro, réalisateur et producteur du Laberinto del Fauno/ Labyrinthe de Pan (2006), producteur de L’Orphelinat/ El Orfanato de Juan Antonio Bayona (2007). En 1991, il avait d’ailleurs créé sa société de production ZETA FILM qui devient vite l’un des groupes de communication et de publicité les plus prestigieux au Mexique et en Amérique Latine. Après Babel, il se lance dans la création d’une autre maison de production Cha Cha Cha avec Guillermo del Toro et Alfonso Cuarón.
Je vous demanderai de faire attention :
- A la construction du film. Le choix du puzzle n’a rien d’original, d’autres réalisateurs en sont friands, je pense bien sûr à Tarantino (lui aussi nous parlait de chiens dans Reservoir Dogs en 1992) dont on reconnaît l’influence notamment dans le dialogue entre El Chivo et Luis, le jeune cadre dynamique qu’il a enlevé. C’est une technique que l’on retrouve aussi dans tous ces romans où la ville devient un personnage à part entière.
- Car cette ville, il vous faudra l’observer, le film y a d’ailleurs été tourné. México City (qui a fêté le Bicentenaire de l’indépendance du Mexique le 16 septembre) et ses 20 M d’habitants (30 M en comptant la grande couronne) qui en font la troisième ville la plus peuplée au monde, après Tokyo et New York et la première d’Amérique Latine. Elle est aujourd’hui l’une des cités les plus actives sur le plan politique, économique et culturel mais la mégalopole reste confrontée à une série de maux endémiques que vous verrez apparaître dans le film et qui fait d’elle le "Détritus Federal" : les problèmes liés au trafic (saturation et pollution), le manque d’hygiène (milliers de chiens errants et parfois crevés), la délinquance, le travail au noir, les inégalités sociales criantes, le machisme séculaire et l’extrême violence du débat politique « Vivre Mexico… c’est souffrir ».
- Cette ville est le chaos et causera la perte de ses habitants apeurés, asphyxiés, aliénés, c’est ce que pensent de nombreux Mexicains incapables pourtant de la quitter. C’est donc une tragédie qui se joue là et qu’illustre Iñárritu à travers trois épisodes dont il faudra comprendre l’extrême imbrication. Il vous faudra être sensibles à la cruauté et à la crudité (nous verrons bien quels sont les moments que vous avez trouvé les plus durs, le plus violent ne sera pas forcément où vous l’attendez) mais aussi à l’extrême humanité de ces personnages confrontés au désir de rédemption, au désir d’être heureux, même de la façon la plus mesquine, au désir d’être un autre, au désir de survivre même comme un animal. Cette extrême humanité des personnages, Iñárritu nous la livre après avoir travaillé pendant trois ans sur 36 scénarios différents : « Non seulement je pouvais voir et sentir les personnages, mais je sentais aussi leur odeur et éprouvais pour eux quelque chose de profondément humain. C’était comme s’ils étaient sortis du papier pour venir respirer et souffrir avec moi, avec des dialogues parfaitement organiques. Il y a quelque chose de certain, c’est que ce film, je ne l’ai pas fait avec l’intellect, mais à force d’instinct et d’intuition. Je n’y ai pas mis non plus mon cœur, mais mes boyaux et un morceau de foie… Pas d’inspiration, mais transpiration, ni pitié ni compassion, ni concession, les choses telles qu’elles sont, pas comme nous voulons les voir. »
- Enfin vous écouterez la langue, cet espagnol du Mexique rocailleux, parfois ordurier, mais aussi si mélodique avec son lexique particulier qui s’est forgé au contact des langues indiennes et de l’américain, ce lexique qui est aussi bien différent lorsqu’il est employé dans le quartier des Affaires et dans les zones les plus défavorisées.
Sin olvidar el enlace para escuchar de nuevo una canción de la peli, Lucha de Gigantes de Nacha Pop, un grupo español famoso en tiempos de la Movida:
http://www.youtube.com/watch?v=rkueRCSdtd8